Pour les Juifs de Vire, c’est à Neuville que (re)commence l’histoire. A l’exception de la famille Schwartz-Levy, tous sont en effet domiciliés sur cette commune située au Nord de Vire. Si Neuville peut faire figure de faubourg de la cité bocaine, sa configuration est particulière. D’une part, c’est une commune « éclatée » : le village initial autour de l’église de Neuville se prolonge en direction de Caen et d’Aunay-sur-Odon par des hameaux dispersés (les Champs de Tracy, le Bosq par exemple), tandis qu’un nouveau centre s’est développé autour de la gare à partir de la fin du Second Empire. Au final, la commune s’étend jusqu’aux abords du centre-ville de Vire et compte en 1936 un peu plus de 1400 habitants (Vire à cette date compte un peu plus de 5400 âmes).
Sur la question de savoir pourquoi les familles se sont installées prioritairement dans le quartier de la gare et de la Cour de Neuville, plusieurs hypothèses peuvent être avancées. C’est dans ce quartier que les nouveaux arrivants ont probablement logé temporairement dans un des hôtels disponibles (Hôtel de la Gare, des Voyageurs, Hôtel Bonnion…). On se souvient que trois arrestations ont été opérées dans deux de ces établissements. L’autre hypothèse concerne l’accès à des logements bon marché : la plupart des familles polonaises qui arrivent dans les années 1930 sont peu fortunées et n’ont sans doute pas accès à l’ensemble du marché locatif de la ville. L’autre explication tient aux liens de solidarité familiale, voire communautaire. Les familles Augier et Zajdenwerg, qui sont liées par les deux mères, vivent à proximité l’une de l’autre (la première au 16 de la Cour de Neuville, la seconde 25 avenue de la Gare). En 1938, la famille Kaminsky s’installe quant à elle à quelques dizaines de mètres route d’Aunay, parce que Léon Kinoël (l’oncle d’Adolfo Kaminsky) y a construit une maison à cet effet. Avant cela, il habitait au 9 de la Cour de Neuville. On peut raisonnablement pensé qu’il a eu des relations avec la famille Augier arrivée dans la même rue en 1932. A-t-il favorisé d’une manière ou d’une autre l’installation du couple et de ses deux enfants ? L’hypothèse est plausible car Léon Kinoël, arrivé de Russie en 1909 et naturalisé par la suite, est une figure bien connue sur les marchés de Vire à cette époque. On peut penser par ailleurs que l’origine étrangère, la judéité et la communauté de métier (Léon Kinoël, Nuta Augier, Ber Goldnadel sont tous les trois marchands forains) ont joué un rôle dans les liens établis par les familles juives de Vire avant la guerre. Ces relations de proximité spatiale et professionnelle ont été vraisemblablement déterminantes lorsque les mesures de persécution ont été mises en œuvre à partir de 1940, aboutissant aux premières arrestations en 1942. Songeons encore une fois au cas de la famille Augier et au sauvetage de Rose et Silvia. Les deux familles qui sont peut-être impliquées dans ce sauvetage ne sont pas n’importe lesquelles : les Passaquit sont leurs voisins de palier à la Cour de Neuville et le chef de famille, Marcel, est lui aussi marchand forain. Quant à la famille Bayle, dont la participation est évoquée par Adolfo Kaminsky(1), celle-ci habite à deux pas (au n°1 de la Mercerie).
Quelles que soient les difficultés à reconstituer les circonstances des faits évoqués ici, il reste que la trajectoire des Juifs de Vire durant ces années de persécution relève aussi d’une microhistoire : celle des relations de voisinage au cœur du quartier de Neuville.
O. Quéruel
Note :
1. Dans son long entretien au Mémorial de la Shoah en février 2006 avec Jean-Baptiste Péretié.