Le 26 septembre 1942, David Furmanski et Maurice Finkelstein sont arrêtés par des agents de la Feldgendarmerie dans un hôtel du quartier de la gare. Cette arrestation est singulière à bien des égards…
Tout d’abord, c’est l’arrestation sur laquelle nous disposons peut-être le plus de sources. En effet, alors que les archives sur les autres « opérations » sont arides ou absentes dans les fonds du Calvados, sept documents permettent de saisir un peu mieux les circonstances de cette troisième arrestation de l’année 1942. Autre élément majeur : pour la première fois, le rôle des autorités françaises et des forces de police est clairement attesté par deux rapports de gendarmerie de la brigade Vire et de Caen et par une correspondance préfectorale datée du 1er octobre 1942, relative au transfert des deux hommes à Drancy (1).
Ensuite, le profil de David Furmanski et Maurice Finkelstein les distingue des autres Juifs de la ville, puisqu’ils ne sont pas résidents à Vire : lorsqu’ils sont arrêtées, cela fait plusieurs semaines qu’ils logent sous une fausse identité à l’hôtel des Voyageurs à Neuville. Ils sont par conséquent complètement absents des listes établies en préfecture depuis 1940. Leur parcours est toutefois bien documenté dans les correspondances : par exemple, alors que l’arrestation a eu lieu depuis plus d’un mois, la Préfecture de police transmet depuis Paris une note au préfet du Calvados dans laquelle l’état civil de David Furmanski et de sa femme est établi de manière rigoureuse (2). On apprend aussi dans cette note que David Furmanski s’est évadé de Beaune-la-Rolande le 21 juillet 1942 et que son séjour clandestin à Vire est connu des autorités parisiennes.
Comment cette information est-elle parvenue à la Préfecture de Police de Paris ? C’est la troisième singularité qui entoure cette double arrestation. D’après le rapport des gendarmes de Vire transmis au sous-préfet, c’est « la rumeur publique » qui, quatre jours après les faits, leur permet de prendre connaissance de cette arrestation. Toujours d’après ce document, les deux hommes auraient été « dénoncés à la Feldgendarmerie, comme se livrant au marché noir, par un jeune homme habitant la localité ». Si cette information est absolument invérifiable, elle est éclairante sur la sensibilité de la population locale aux mesures de répression prises par l’occupant : si la rumeur se déploie, c’est parce qu’elle touche la question centrale du marché noir, reléguant sans doute au dernier plan la « question juive ». Le cas présent nous renvoie pourtant au carrefour de deux logiques intimement liées : appréhendés pour des activités illicites, David Furmanski et Maurice Finkelstein n’en demeurent pas moins pistés et traqués en tant que Juifs. Le mobile racial de cette arrestation, que les habitants du quartier de la gare n’ont sans doute pas mesuré, est ainsi formulé sans détour dans les sources.
O. Quéruel
Notes :
1. Sur demande de la Sicherheitspolizei émise le 30 septembre et transmise par la préfecture du Calvados, une brigade de gendarmes transfèrent les deux hommes de Caen à Drancy le 3 octobre.
2. Alors que par dans les correspondances émises depuis Vire par la gendarmerie et par le préfet du Calvados, la date de naissance de David Furmanski n’est pas correcte. Cette situation s’explique aisément par les différentes sources d’information utilisées : alors que la Préfecture de police dispose du fameux « fichier Tulard », régulièrement mis à jour pour organiser les rafles parisiennes, les autorités viroises ne disposent que des informations partielles que la Feldgendarmerie aura bien voulu leur transmettre.